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Le cœur – notre meilleur conseiller?

L’expression «du fond du cœur» fait du bien à entendre. Mais notre cœur nous donne-t-il toujours la bonne direction et pouvons-nous nous fier à son jugement? Angelika Kallwass, psychologue et auteure, s’y connaît en affaires de cœur.

Angelika Kallwass, comment interprétez-vous la célèbre phrase «On ne voit bien qu’avec le cœur»?
Angelika Kallwass*:
«… l’essentiel est invisible pour les yeux!» Quand cette célèbre phrase est parue en 1943 dans «Le Petit Prince» de Saint-Exupéry, on était loin d’en savoir autant qu’aujourd’hui sur le rapport entre les processus cérébraux et leurs répercussions sur le système nerveux végétatif – les battements cardiaques, par exemple. Bien sûr qu’on ne peut pas «voir» avec le cœur. Mais le cœur est un symbole très ancien et très fort, car il réagit immédiatement aux émotions. Quand on se trouve dans un groupe, par exemple, et qu’on sent tout de suite que l’atmosphère n’est pas bonne. Cependant, cette sensibilité n’est pas donnée à tout le monde.

Cette capacité à percevoir les choses est-elle un don?
Chez les enfants, l’intuition est encore très marquée. Ils sentent les tensions entre leurs parents, même quand papa et maman essaient de ne rien laisser transparaître. Les enfants disent alors souvent que ce genre de situation est «bizarre». Ils expriment ainsi leur malaise par rapport à quelque chose qu’ils ne comprennent pas. Quand les parents tentent de rassurer leur enfant avec des paroles lénifiantes comme «mais non, tout va bien, qu’est-ce que tu racontes?», ils déclenchent l’altération de cette capacité de perception.

Supposons qu’une femme doive choisir entre deux hommes, qui ont tous deux leurs qualités. Sa meilleure amie lui conseille: «Écoute ton cœur!» Est-ce un bon conseil?
C’est une situation complexe. Si la femme concernée dit qu’elle est désespérée et ne sait vraiment pas quelle est la bonne décision pour elle, peut-être le meilleur conseil est-il alors: «Dans ce cas, écoute aussi ta tête.»

En tant que conseillère expérimentée, diriez-vous à un client ou à une cliente qu’il ou elle doit tout bonnement faire preuve de bon sens? 
Non, je leur conseillerais plutôt de s’imaginer une situation particulière et de s’y projeter intensément. À une femme qui doit choisir entre deux partenaires, je dirais peut-être ceci: «Imaginez que vous êtes en randonnée avec ces deux hommes. Vous vous êtes éloignés du chemin, vous êtes perdus – et maintenant? Avec lequel de ces deux hommes avez-vous l’impression de former une équipe? En qui auriez-vous le plus confiance pour retrouver ensemble votre chemin et parvenir au but?» C’est une bonne chose de bien s’entendre en amour et au lit. Mais pour la viabilité de la relation, il est essentiel de pouvoir se dire: «Nous sommes amis, nous sommes une équipe et pouvons surmonter les difficultés ensemble.»

Outre beaucoup de stress, la crise du coronavirus a-t-elle fait naître ici ou là un nouveau sens de la bienveillance et de l’attention à l’autre?
Chaque génération se trouve confrontée à une épreuve, une sorte d’expulsion du paradis, et la vit à sa façon. Nous avons désormais affaire à un virus qui a modifié toute notre vie sociale et remet en question l’ordre des choses tel qu’il était établi. Ce qui est difficile à gérer, c’est surtout son «invisibilité»: une personne peut être infectée sans même le savoir. Nous avons longtemps vécu dans l’illusion d’avoir conquis le monde: nous pouvions voyager partout où nous voulions. Nous voilà désormais désemparés face à un danger planétaire. Je ne dirais pas que le coronavirus a généré plus de bienveillance, mais plutôt plus d’attention les uns envers les autres au quotidien.

Les personnes foncièrement bienveillantes ont-elles un don particulier?
Il est difficile de prouver qu’il s’agit d’une prédisposition génétique. Mais je suis sûre que la capacité à faire preuve de gentillesse vis-à-vis des autres est très liée à la façon dont on a été reconnu pendant l’enfance, et à la capacité que l’on a de reconnaître ses parents. Combien de pâquerettes n’ai-je pas arrachées pour en faire un bouquet pour ma maman! Quand celle-ci me disait de les laisser pousser tranquillement, elle avait raison – mais comme je me sentais déçue! Plus tard, j’ai compris que si elle avait mieux reconnu mon besoin de lui faire plaisir, elle m’aurait expliqué différemment pourquoi il fallait protéger ces petites fleurs – et je n’aurais pas été si déçue. Je pense que le besoin d’être apprécié et reconnu est très fort en nous.

Parfois, quand on ne sait pas quoi dire, on peut tenter de se justifier en disant qu’on «n’a pas le cœur sur les lèvres».
Le sentiment d’une affection sincère n’exige pas nécessairement beaucoup de paroles. Parfois le «sentiment» qu’on est là pour l’autre, à ses côtés, pour l’accompagner, suffit.

Aujourd’hui, on peut chercher ses amis et son partenaire sur internet. Avons-nous perdu en spontanéité et en cordialité dans nos relations?
Je ne suis peut-être pas à la page mais, pour moi, cette spontanéité et la sensibilité qui l’accompagne sont très importantes. Bien sûr, c’est formidable de pouvoir rester en contact par Skype avec son fils ou sa fille qui vit aux États-Unis… Mais ce genre d’interactions ne mobilisent pas tous nos sens et nous sommes incapables d’exprimer toute notre attention à l’autre par ce biais-là.

Au début d’une relation de couple, on se sent pousser des ailes avec la sensation de ne faire «qu’un seul cœur et une seule âme». Mais quand la poussée hormonale s’apaise, l’euphorie peut virer à la monotonie. Une bienveillance attentive dans le couple serait-elle selon vous la base d’un «ciment» solide?
Nous en revenons à une variante de la citation «On ne voit bien qu’avec le cœur…». Il ne s’agit pas seulement de sexualité mais aussi de quelque chose que je décrirais par les termes d’amour, de camaraderie et d’amitié. Dans un couple qui vit ce genre de sentiments, on discerne sur le visage du ou de la partenaire s’il va bien ou si quelque chose cloche. L’empathie est pour moi quelque chose d’incroyablement important.

Noël approche. Sommes-nous capables de faire des cadeaux qui viennent du fond du cœur, sans aucun calcul ni aucune attente d’une quelconque contrepartie – et même de renoncer à l’assurance qu’avec ce cadeau, on a fait preuve d’un exceptionnel bon goût?
Je pense qu’on peut offrir sans vouloir une contrepartie. Mais nous souhaitons que le cadeau soit «apprécié». Quand je fais un cadeau à quelqu’un et que cette personne se réjouit, alors j’ai «reconnu» le destinataire du cadeau dans son être même – pour reprendre ce concept biblique. Il peut aussi être utile de demander simplement à l’autre ce dont il a envie. On lui montre ainsi qu’on souhaite lui offrir le bon cadeau.

*Angelika Kallwass, psychologue, est une célèbre animatrice télé et une experte très demandée dans les talk-shows. Elle s’est également fait un nom avec une série de guides de conseils comme son ouvrage «Was am Ende zählt» (éditions Bastei Lübbe) ou «Stark gegen die Angst» (éditions Kreuz).

Cet article a été publié dans une édition d’astreaPHARMACIE et adapté pour le site web. L’édition complète d’astreaPHARMACIE est disponible en pharmacie et paraît dix fois par an.